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L'importance de la décentralisation du Web pour la santé mentale

TL;DR:

  • Les grandes plateformes centralisées optimisent l’engagement, pas le bien-être. Leurs algorithmes exploitent nos biais attentionnels et sociaux.
  • Effets associés à un usage excessif: hausse des symptômes dépressifs et anxieux, stress, troubles du sommeil, comportements compulsifs, symptômes proches des addictions, difficultés d’attention et isolement.
  • Contenus ultra courts type TikTok et shorts: gratification instantanée fréquente, baisse du contrôle attentionnel et tolérance réduite à l’ennui.
  • Mécanisme clé: la boucle dopamine. Likes, notifications et défilement infini reposent sur un renforcement variable proche des mécaniques du jeu, rendant l’app difficile à quitter.
  • Pourquoi décentraliser: réduction de la manipulation algorithmique, fils chronologiques, communautés à taille humaine, plus de contrôle sur ses données et ses règles de modération.
  • Exemples à explorer: Mastodon et le fediverse (ActivityPub), Bluesky et l’AT Protocol, Matrix pour la messagerie, PeerTube pour la vidéo.
  • À retenir: la décentralisation ne résout pas tout, mais elle aligne mieux l’outil sur l’humain et diminue les incitations nocives.


Introduction

Le Web actuel est largement dominé par quelques grandes plateformes centralisées qui contrôlent le flux d'informations en ligne. Sur ces réseaux sociaux centralisés (comme Facebook, Instagram, TikTok, YouTube, etc.), les contenus sont souvent régis par des algorithmes optimisés pour capter l’attention des utilisateurs. Or, de plus en plus d’études scientifiques montrent que cette quête de maximisation de l’engagement peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale des utilisateurs. Face à ces constats, la décentralisation du Web – c’est-à-dire un modèle où aucune entité unique ne contrôle la plateforme, et où les utilisateurs peuvent se répartir sur des serveurs indépendants interconnectés – apparaît comme une piste prometteuse pour un Internet plus éthique et respectueux du bien-être des internautes. Cet article fait le point, de manière accessible mais scientifique, sur les impacts des réseaux sociaux centralisés sur le cerveau et la santé mentale, et explique en quoi la décentralisation et les plateformes fédérées (telles que Mastodon ou Bluesky) pourraient offrir des alternatives plus saines, en s’appuyant sur les études et travaux les plus récents sur le sujet.

Réseaux sociaux centralisés : quels impacts sur la santé mentale ?

Plusieurs recherches récentes ont établi un lien préoccupant entre l’usage intensif des réseaux sociaux centralisés et divers troubles psychologiques. Les symptômes et problèmes recensés couvrent un large spectre

  • Dépression : Une utilisation problématique des réseaux sociaux est associée à des taux accrus de symptômes dépressifspubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Des revues systématiques ont trouvé que les jeunes très actifs sur les réseaux présentent davantage de signes de dépression que les autres, toutes choses égales par ailleurstheguardian.com.
  • Anxiété et stress : De même, l’anxiété et le stress semblent exacerbés par un usage compulsif des médias sociauxpubmed.ncbi.nlm.nih.gov. L’angoisse de ratage (ou FOMO, fear of missing out) – c’est-à-dire la peur de manquer une information ou un événement en ligne – a été identifiée comme un facteur lié à cette utilisation excessivepubmed.ncbi.nlm.nih.gov.
  • Troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) et symptômes d’hyperactivité/déficit de l’attention (TDAH) : Fait notable, l’abus des réseaux sociaux a également été corrélé à des niveaux plus élevés de TOC et de symptômes de TDAH dans la populationpubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Cela suggère que le fonctionnement même de ces applications (notifications constantes, multitâche, etc.) peut aggraver l’impulsivité ou les ruminations.
  • Addiction comportementale : Les scientifiques parlent désormais de « dépendance aux réseaux sociaux » ou social media addiction. Ce terme se justifie par des observations neurobiologiques : les personnes accrocs aux réseaux montrent des schémas cérébraux similaires à ceux d’autres addictions (altération du contrôle inhibiteur, changements dans les régions de la récompense du cerveau, etc.)pubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Par exemple, des études d’imagerie cérébrale comparent la réduction de matière grise dans certaines zones (noyau accumbens, amygdale, insula) chez les utilisateurs compulsifs de réseaux sociaux à celle observée dans des addictions plus classiquespubmed.ncbi.nlm.nih.gov.
  • Agressivité, cyberintimidation et isolement social : L’usage intensif des plateformes peut aussi accroître la vulnérabilité à l’agressivité en ligne et au cyber-harcèlement, ce qui, combiné à l’isolement devant l’écran, nuit à la santé mentalepubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Paradoxalement, des comportements antisociaux peuvent émerger d’outils censés nous « connecter ». De plus, plusieurs études concluent que cette utilisation problématique a des effets délétères sur les relations sociales dans la vie réelle (conflits de couple liés au smartphone, sentiment de solitude, etc.)lemonade.comlemonade.com.
  • Sommeil perturbé : Les écrans et sollicitations constantes perturbent également le repos. On observe chez les grands utilisateurs de réseaux sociaux un moindre temps de sommeil, un endormissement plus long et de moins bonne qualité, et davantage de réveils nocturnes liés aux notificationspubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Le manque de sommeil et l’utilisation nocturne du téléphone peuvent à leur tour aggraver l’anxiété et la dépression, bouclant un cercle vicieux.

En résumé, le tableau symptomatologique lié à l’usage excessif des réseaux sociaux centralisés inclut une augmentation de la détresse psychologique (dépression, anxiété, stress), des conduites compulsives et addictives, des troubles du sommeil, et même quelques impacts mesurables sur le fonctionnement cognitif et cérébralpubmed.ncbi.nlm.nih.govpubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Il convient de noter que ces effets touchent surtout les usages dits problématiques ou compulsifs ; une utilisation modérée et consciente des réseaux est beaucoup moins susceptible de causer de tels torts. Néanmoins, la tendance générale observée par les chercheurs est inquiétante, d’où l’urgence de comprendre les mécanismes en jeu.

Le phénomène du « brain rot » : quand les contenus rapides réduisent l’attention

Un terme populaire – « brain rot » (littéralement « cerveau qui ramollit ») – a émergé pour décrire l’effet pernicieux que peuvent avoir les contenus ultrarapides de certaines plateformes (comme TikTok ou les Reels d’Instagram) sur notre capacité d’attention. Bien qu’exprimé de façon imagée, ce concept trouve un écho dans les observations scientifiques sur la cognition des gros utilisateurs de vidéos courtes.

Les applications comme TikTok proposent un défilement infini de clips très brefs, hautement stimulants et choisis par un algorithme pour maximiser l’attrait. Cette stimulation constante, récompensée par un renouvellement immédiat du contenu, pourrait entraîner une forme de dépendance et altérer nos fonctions exécutives (c’est-à-dire nos capacités de concentration, de contrôle et de planification). Des études récentes commencent à confirmer ce phénomène : par exemple, une recherche basée sur des mesures électroencéphalographiques (EEG) a montré que les jeunes présentant une tendance addictive aux vidéos courtes sur mobile obtiennent de moins bons scores de contrôle attentionnel, associés à des altérations de l’activité cérébrale frontalepmc.ncbi.nlm.nih.gov. En d’autres termes, plus un individu développe une dépendance aux shorts vidéo, plus son autocontrôle et sa capacité à rester concentré s’en trouvent réduitspmc.ncbi.nlm.nih.gov.

Par ailleurs, d’autres travaux soulignent que l’usage excessif des vidéos à la TikTok peut conduire à un repli social et à des difficultés dans les interactions réellespmc.ncbi.nlm.nih.gov. Sur le plan cognitif pur, les preuves d’un déclin généralisé de l’intelligence ou de la mémoire à cause de TikTok restent limitées à ce jourpubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Cependant, les déficits d’attention et la diminution de la tolérance à l’ennui chez les plus jeunes sont des signaux d’alarme pris au sérieux par les psychologues. La dopamine (voir section suivante) joue ici un rôle central : le cerveau, sur-stimulé par la gratification instantanée de ces clips, peine ensuite à se motiver pour des tâches longues ou moins excitantes. C’est ce qu’on appelle parfois le « TikTok brain », c’est-à-dire un cerveau entraîné à ne fonctionner qu’avec des récompenses rapides, au détriment de l’attention soutenue.

En somme, si le terme « brain rot » relève du langage courant, la science confirme partiellement l’intuition qu’il exprime : une consommation frénétique de contenus courts et viraux peut altérer nos capacités d’attention et de contrôle, surtout chez les jeunes esprits en développementpmc.ncbi.nlm.nih.gov. Cela rejoint le constat plus large d’une addiction comportementale aux réseaux, avec ses effets sur le cerveau.

Dopamine : le « hook » neurologique exploité par les Big Tech

Pour comprendre comment les réseaux sociaux rendent leurs utilisateurs accros, il faut s’intéresser à un neuromédiateur clé du cerveau : la dopamine. Surnommée parfois la « molécule du bonheur », la dopamine est surtout le neurotransmetteur de la récompense et de la motivation. Elle est libérée lorsque nous satisfaisons un besoin ou obtenons une gratification – qu’il s’agisse de manger un aliment apprécié, de faire de l’exercice, de recevoir un compliment… ou de voir une notification sur notre téléphone.

Les plateformes numériques l’ont bien compris, et ont intégré ce levier neuropsychologique dans la conception de leurs applications. Sean Parker, cofondateur de Facebook, a reconnu publiquement que dès les débuts du réseau social, l’objectif était de capturer autant de temps et d’attention consciente que possible chez l’utilisateur. Pour y parvenir, explique Parker, « Facebook’s architects exploited a vulnerability in human psychology… Whenever someone likes or comments on a post, we give you a little dopamine hit »theguardian.com. Autrement dit, chaque “Like” ou notification agit comme une petite dose de dopamine délivrée au cerveau de l’utilisateur, renforçant son envie de revenir consulter l’application. Ce conditionnement par la récompense n’a rien d’un hasard, il s’inspire directement des travaux en psychologie comportementale sur le renforcement intermittent.

Les psychologues industriels et experts en sciences du comportement ont effectivement été mis à contribution par les géants du Web pour rendre l’expérience utilisateur la plus addictive possible. Plusieurs entreprises de la Tech embauchent des psychologues, neuroscientifiques et spécialistes des sciences sociales afin de les aider à créer des produits qui maintiennent la libération de dopamine chez l’usagerlemonade.com. Tristan Harris, ancien expert en éthique du design chez Google, compare par exemple le défilement infini (scroll) des applications à une machine à sous : « Vous tirez un levier (glissez l’écran), et vous recevez tout de suite soit une récompense alléchante (...), soit rien. Cette imprévisibilité, semblable au jeu, est précisément ce qui nous fait revenir », explique-t-iltheguardian.comtheguardian.com. De fait, les réseaux sociaux regorgent de récompenses aléatoires : nombre de vues ou de likes imprévisible, notifications apparaissant à des intervalles irréguliers... « Les récompenses sont ce que les psychologues appellent des programmes de renforcement variable, et c’est la clé pour que l’utilisateur consulte sans cesse son écran », souligne le Pr Mark Griffiths, spécialiste des addictions comportementalestheguardian.com. Ce schéma de récompense aléatoire, bien connu pour être le plus addictif (d’après les expériences du psychologue B.F. Skinner sur les rats), active dans notre cerveau les mêmes circuits dopaminergiques que certaines drogues ou le jeu d’argenttheguardian.comtheguardian.com. C’est ce qui explique que les plateformes sociales peuvent déclencher des mécanismes neuronaux comparables à ceux de la cocaïne, selon les experts, provoquant un craving (manque) chez l’utilisateur lorsque l’appareil est hors de portéetheguardian.com.

On comprend dès lors pourquoi il est si difficile de « lâcher son téléphone » : tout, dans le design des applications populaires, est pensé pour exploiter nos réponses dopaminergiques et nous garder enclins à faire défiler, cliquer, aimer, partager. Des startups comme Dopamine Labs proposent même leurs services pour optimiser ces boucles de récompense au sein d’autres applications, à grand renfort d’intelligence artificielle et d’analyses neurocomportementalestheguardian.comtheguardian.com. Face à ce constat, des voix (y compris d’anciens cadres de la Silicon Valley) s’élèvent pour dénoncer une forme de « piratage » du cerveau humain par les Big Tech. Le chroniqueur du New York Times David Brooks résumait ainsi : « Les entreprises Tech ont compris ce qui provoque des bouffées de dopamine dans le cerveau, et ils truffent leurs produits de techniques de détournement qui nous leurrent et créent des cycles de compulsion »theguardian.com.

En résumé, le modèle centralisé et commercial des grands réseaux favorise des pratiques de conception manipulatrices, visant à rendre l’utilisateur dépendant via le circuit de la dopamine. Cette recherche effrénée de l’engagement maximal se fait au détriment du bien-être mental des internautes, comme on l’a vu précédemment. C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’une autre voie : celle d’un Web décentralisé, où les plateformes seraient conçues différemment, avec d’autres priorités que le temps de cerveau disponible.

La décentralisation du Web : vers des plateformes plus saines et éthiques

Décentraliser le Web, et notamment les réseaux sociaux, signifie abandonner le modèle du silo unique contrôlé par une entreprise au profit d’un écosystème de serveurs interconnectés (souvent appelés instances ou nœuds) que différentes communautés ou organisations peuvent opérer. Chaque utilisateur peut choisir une instance (ou en créer une) et rester en communication avec l’ensemble du réseau fédéré. Ce modèle, que l’on appelle aussi « fédération », est à la base d’initiatives comme Mastodon, Diaspora, PeerTube, Matrix ou plus récemment Bluesky.

L’hypothèse est que ces réseaux décentralisés, ne reposant pas sur la monétisation de l’attention par la publicité ciblée, peuvent offrir un environnement plus respectueux de l’utilisateur – potentiellement bénéfique pour la santé mentale et la qualité des interactions en ligne.

D’après une étude universitaire menée à Oxford, les administrateurs de réseaux sociaux décentralisés identifient plusieurs avantages clés à cette approche phys.orgphys.org :

  • Espaces en ligne plus sûrs et inclusifs : Sur les plateformes fédérées comme Mastodon, il existe de nombreuses communautés à taille humaine, parfois dédiées à des groupes marginalisés ou stigmatisés, où les membres se sentent en sécurité pour discuter de sujets qu’ils n’oseraient pas aborder sur les grands réseaux traditionnelsphys.org. La modération y est souvent plus stricte et adaptée à la communauté, sans les compromis qu’imposent les plateformes géantes soucieuses de ne pas froisser un large public.
  • Absence de manipulation algorithmique : Un changement fondamental est l’abandon des fils d’actualité algorithmique et du clickbait. Par exemple, Mastodon affiche les messages dans l’ordre chronologique, sans algorithme caché ni publicité cibléephys.org. Les utilisateurs voient ce que les personnes qu’ils suivent publient, point barre. On évite ainsi les pièges de la recommandation addictive (vidéos automatiques, contenus polarisants mis en avant pour générer des réactions émotionnelles, etc.). Ce retour à la timeline chronologique peut réduire le stress de l’utilisateur et l’incitation à scroller indéfiniment, car le flux redevient maîtrisable et fini.
  • Contrôle accru des données personnelles et de la vie privée : Les plateformes décentralisées laissent en principe plus de contrôle aux usagers quant à leurs données. Sur Mastodon, chaque instance a sa politique, mais beaucoup s’engagent à ne pas exploiter les données des membres. Surtout, un utilisateur peut choisir une instance de confiance ou même héberger son propre serveur, ce qui lui donne la maîtrise de ses données et de son expérience (par exemple, il peut fixer ses règles de modération, exporter son contenu, etc.)phys.org. Ce pouvoir de quitter une instance pour une autre sans perdre son réseau (interopérabilité) contraste avec le modèle fermé de Facebook ou TikTok, et peut éviter le sentiment d’enfermement numérique nuisible au bien-être.
  • Priorité à la qualité de la communauté sur la croissance : Les administrateurs de services décentralisés mettent en avant une philosophie différente : il vaut mieux une communauté réduite mais bienveillante qu’une audience massive ingérablephys.org. Cette approche favorise des interactions plus saines, limite le harcèlement de masse et diminue la propagation virale de la désinformation ou des contenus toxiques. En somme, la mesure du succès n’est plus le “temps passé” ou le nombre d’impressions, mais la satisfaction d’une communauté d’utilisateurs.

Ces atouts suggèrent que la décentralisation peut contribuer à un environnement en ligne plus propice à la santé mentale et à des interactions sociales de meilleure qualité. D’ailleurs, certains chercheurs parlent d’un potentiel d’« empowerment » (émancipation) des citoyens grâce aux réseaux sociaux décentralisés : l’utilisateur y gagne en autonomie, sans subir les bias et contraintes imposés par une plateforme centraliséephys.orgphys.org. En éliminant le filtre algorithmique opaque et le diktat du like à tout prix, ces espaces fédérés pourraient réduire l’anxiété de comparaison constante et l’assuétude aux validations numériques.

Nuançons toutefois : la décentralisation n’est pas une panacée exempte de défis. Les mêmes études soulignent que ces réseaux doivent relever des problèmes de modération (chaque instance gère ses règles, ce qui peut entraîner des conflits ou de la confusion) et de soutenabilité (coûts et efforts bénévoles pour maintenir les serveurs, difficulté d’échelle)phys.org. Par exemple, maintenir un espace sûr tout en respectant la liberté d’expression est un exercice d’équilibre complexe pour les administrateurs volontaires. De plus, l’expérience utilisateur sur des applications fédérées peut dérouter les novices : il faut choisir une instance, comprendre le fédéré, ce qui est moins user-friendly qu’une inscription sur Instagram en deux clicsphys.org. Enfin, rien n’empêche totalement des dynamiques négatives (addiction, désinformation) d’apparaître aussi sur les réseaux décentralisés, même si l’absence d’algorithmes amplificateurs les limite. En somme, le cadre technique offre de meilleures garanties, mais l’éducation numérique et la modération active restent essentielles pour concrétiser les bénéfices en matière de bien-être.

Exemples de plateformes décentralisées et fédérées prometteuses

Plusieurs projets incarnent cette vision d’un Web social décentralisé. En voici deux exemples notables :

  • Mastodon : Lancé en 2016, Mastodon est un réseau social open-source fonctionnant par fédération d’instances. Il est souvent comparé à Twitter pour son format (messages courts appelés pouets, suivis, hashtags, etc.), mais s’en distingue radicalement par son architecture. N’importe qui peut créer un serveur Mastodon ou rejoindre un serveur existant, et communiquer avec l’ensemble du fediverse (l’ensemble des instances reliées via le protocole ActivityPub). Mastodon illustre bien les principes évoqués ci-dessus : pas de pub, pas d’algorithme caché, des fils chronologiques, et des communautés aux règles explicites. Des recherches ont mis en avant que Mastodon permet à des groupes qui s’estimaient mal servis ou en insécurité sur les grands réseaux de se réapproprier un espace d’expression plus sereinphys.org. Le revers de la médaille est que la dispersion en de nombreuses communautés rend la découverte de contenu moins immédiate et peut donner une impression de moindre activité par rapport aux flux ininterrompus de Twitter. Il n’en demeure pas moins que Mastodon a prouvé sa robustesse et attire régulièrement des vagues d’utilisateurs désireux d’échapper aux dérives de Twitter/X.
  • Bluesky : Il s’agit d’un projet plus récent (béta lancée en 2023) né à l’initiative de Jack Dorsey, cofondateur de Twitter. Bluesky propose un réseau social décentralisé basé sur un protocole ouvert appelé AT Protocol, distinct d’ActivityPub. Techniquement, Bluesky est conçu pour permettre l’existence de multiples serveurs (design fédéré), tout en offrant une expérience proche de Twitter. L’interface utilisateur est familière (fil de posts, replies, likes, reposts) mais avec une innovation notable : l’utilisateur peut choisir son algorithme de recommandation (algorithmic choice) ou même créer des fils personnaliséstechcrunch.com. Ce contrôle de l’algorithme par l’usager est une idée intéressante pour lutter contre les « bulles de filtrage » et la consommation passive de contenus imposés. Bluesky est encore en développement et relativement centralisé dans sa phase initiale (il existe pour l’instant un serveur principal bsky.social). Toutefois, à terme, son architecture ouverte vise à ce qu’aucune entité unique ne puisse dicter les règles ou capter les données des utilisateurstechcrunch.com. On peut voir Bluesky comme une expérimentation visant à combiner le meilleur des deux mondes : l’ergonomie d’un grand réseau et la souveraineté de l’utilisateur offerte par la décentralisation. Son succès reste à suivre, mais l’intérêt qu’il suscite (plus d’un million d’inscriptions dès la première année) signale une vraie demande du public pour des alternatives aux réseaux traditionnels.

D’autres initiatives mériteraient d’être citées, telles que Diaspora (un des pionniers des réseaux sociaux décentralisés), PeerTube pour le partage décentralisé de vidéos, ou encore Matrix pour la messagerie instantanée chiffrée fédérée. Même des acteurs établis montrent un intérêt pour cette approche : ainsi, Meta (Facebook) a annoncé que sa nouvelle application Threads pourrait à l’avenir adopter le protocole ActivityPub pour interagir avec Mastodon et consorts, ce qui témoigne de l’attrait croissant du modèle fédéré. Chaque projet apporte sa touche, mais tous partagent la même promesse sous-jacente : redonner aux utilisateurs le contrôle de leur vie en ligne, au lieu de les rendre dépendants d’une plateforme géante.


Conclusion

Le constat scientifique est clair : l’usage intensif et non maîtrisé des réseaux sociaux centralisés présente des risques réels pour la santé mentale – augmentation de la dépression et de l’anxiété, troubles du sommeil, symptômes addictifs, atteintes à l’attention, etc. pubmed.ncbi.nlm.nih.govpubmed.ncbi.nlm.nih.gov. Ces effets sont en partie le produit de choix de conception délibérés de la part des plateformes, qui exploitent nos vulnérabilités psychologiques (dopamine, besoin social, biais cognitifs) pour nous faire passer un maximum de temps en lignetheguardian.comtheguardian.com.

Cependant, prendre conscience de ces mécanismes nous permet d’agir : en tant qu’utilisateurs, nous pouvons adopter des usages plus sains et nous tourner vers des alternatives plus respectueuses.

La décentralisation du Web offre justement une lueur d’espoir en proposant un changement de paradigme. En répartissant le pouvoir et en privilégiant l’autonomie de chacun, elle dessine des espaces numériques potentiellement moins toxiques et plus communautaires. Les exemples de Mastodon, Bluesky et autres montrent qu’un autre modèle est possible – avec des fils d’actualité non manipulés, une modération à échelle humaine, et l’absence d’une course effrénée à l’attention. Bien sûr, aucun système n’est parfait ni automatiquement vertueux : il faudra continuer de rechercher un équilibre entre liberté d’expression, innovation technologique et protection de la santé mentale.

En définitive, l’importance de la décentralisation du Web réside dans sa capacité à remettre l’humain (et son bien-être) au centre. C’est un retour à l’idéal originel d’Internet comme réseau libre et distribué, au service de ses utilisateurs et non l’inverse. Des études supplémentaires seront nécessaires pour mesurer précisément l’impact de ces nouvelles plateformes sur la santé mentale à long terme. Mais en s’appuyant sur les connaissances actuelles, on peut raisonnablement espérer que des réseaux sociaux plus éthiques et décentralisés contribuent à atténuer le « brain rot » lié aux médias sociaux classiques, et à favoriser des interactions en ligne plus enrichissantes, au bénéfice de notre équilibre psychologique individuel et collectif.

Sources citées : Les affirmations de cet article s’appuient sur des études et publications scientifiques (revues par les pairs) ainsi que sur des propos d’experts, notamment : Weinstein (2023) sur les effets des réseaux sociaux sur la santé mentalepubmed.ncbi.nlm.nih.govpubmed.ncbi.nlm.nih.gov, une étude de 2024 sur l’impact des vidéos courtes sur l’attentionpmc.ncbi.nlm.nih.gov, des analyses d’experts en cyberpsychologie sur les boucles dopaminergiques induites par les applicationstheguardian.comtheguardian.com, et les travaux du programme Oxford Martin sur les bénéfices et défis des médias sociaux décentralisésphys.orgphys.org, entre autres. Chaque référence chiffrée renvoie à la source originale correspondante pour le lecteur souhaitant approfondir ces aspects.

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